Le thème de la tradition et de la modernité dans The Lion and the Jewel
Dès les premières scènes de la pièce, Lakunle se pose en défenseur acharné de la modernité. Il critique sévèrement les coutumes qu’il juge archaïques, notamment la dot, qu’il refuse de payer pour épouser Sidi. Lakunle voit dans ces traditions un obstacle à la "civilisation" et considère que le rôle des femmes, la manière de se vêtir et les relations sociales doivent être alignés sur les normes occidentales. Son discours est empreint de mépris pour les coutumes locales qu'il perçoit comme un frein au développement du village.
Baroka, en revanche, est l'incarnation même de la tradition. En tant que chef du village, il symbolise un pouvoir patriarcal et respecté qui valorise les coutumes ancestrales. Mais Baroka n'est pas un simple gardien passif des traditions. Son personnage est plus complexe ; il sait quand utiliser la modernité à son avantage tout en conservant un attachement profond aux valeurs traditionnelles. Dans un des moments clés de la pièce, il feint d’être réfractaire aux innovations (notamment l’arrivée du chemin de fer), mais il s’avère qu’il utilise cette opposition pour manipuler ceux qui le sous-estiment, notamment Lakunle.
Le personnage de Sidi, la "belle" du titre, est au centre de cette lutte. Elle est courtisée à la fois par Lakunle et Baroka, mais son attitude fluctuante entre ces deux figures symbolise la difficulté de choisir entre tradition et modernité. Sidi représente une génération nouvelle, consciente des avantages de la modernité, mais profondément ancrée dans ses racines culturelles. Elle apprécie l'attention moderne que lui procure sa célébrité après avoir vu ses photos dans un magazine, mais elle reste finalement liée à la tradition en acceptant l’offre de Baroka.
La pièce, en elle-même, ne tranche pas en faveur d’un camp. Au lieu de cela, elle révèle les nuances et les contradictions des deux mondes. Lakunle, bien qu'étant un défenseur des idées modernes, apparaît souvent comme arrogant et déconnecté des réalités de son propre village. Il souhaite imposer des changements rapides sans comprendre les valeurs et les subtilités de la culture qu'il cherche à transformer. À l'inverse, Baroka, tout en défendant les traditions, se montre capable d’adaptation et d’une certaine ruse dans sa manière d'appréhender les changements qui arrivent inévitablement.
L’ironie de la pièce réside dans le fait que, malgré ses efforts pour promouvoir la modernité, Lakunle échoue à séduire Sidi, qui finit par choisir Baroka, l’homme symbolisant le passé. Ce choix pourrait être interprété comme un rejet de la modernité, mais il est plus subtil que cela. Il montre la complexité des interactions entre tradition et modernité, et met en lumière le fait que la modernité ne peut pas simplement effacer les traditions sans comprendre leur place dans la société.
Au-delà des personnages, la structure même de la pièce reflète cette dualité. Les éléments traditionnels africains, comme les chants, les danses et les célébrations, sont entrelacés avec des concepts modernes, créant un métissage culturel qui reflète l’évolution des sociétés africaines postcoloniales. Soyinka utilise cet équilibre pour montrer que tradition et modernité ne sont pas forcément antagonistes, mais peuvent coexister et même se renforcer mutuellement si elles sont traitées avec respect et compréhension.
Enfin, le thème du progrès, souvent associé à la modernité, est remis en question tout au long de la pièce. Le progrès selon Lakunle est un progrès linéaire, qui ne laisse aucune place à la tradition. Cependant, Soyinka semble suggérer que ce modèle de développement n'est ni réaliste ni souhaitable. Baroka, bien qu'ancré dans les coutumes, montre que le changement peut venir de l’intérieur, en s’appuyant sur les forces des traditions plutôt qu’en les rejetant. La modernité, telle que décrite par Soyinka, est donc un processus plus organique et intégré.
En conclusion, The Lion and the Jewel de Wole Soyinka explore avec finesse la tension entre tradition et modernité dans une Afrique en pleine transition. À travers des personnages riches et nuancés, la pièce nous invite à réfléchir sur la manière dont les sociétés peuvent naviguer entre deux mondes sans renier leur passé ni sacrifier leur avenir. La clé n'est pas dans un rejet catégorique de l’un ou de l’autre, mais dans une harmonisation des deux, où chaque élément contribue à l'évolution et à l'enrichissement de l'autre.
Commentaires populaires
Aucun commentaire pour le moment